Il ressort en substance que s’interroger sur l’homogénéité de la culture occidentale revient à s’interroger sur le degré d’imprégnation par les nouveaux arrivants de la culture antérieure et du rôle des couches intermédiaires dans la mutation civilisationnelle qui donne à percevoir une culture telle qu’on la définit à un stade donné des évolutions humaines. Autrement dit, l’approche co-déterministe justifierait à la fois les forces structurantes en présence en même temps que le rôle majeur des interactions productrices de sens nouveaux pour le devenir des sociétés humaines.
Qu’y -a-t-il de commun en effet, entre un Barack Obama, devenu président des USA, issu d’un père Africain et d’une mère américaine, élevé entre Hawaï et Chicago et un Texan américain d’origine, qui n’aura connu d’expérience internationale que les chevauchées fantastiques effectuées à dos de cheval le long des plaines américaines ? Quelle est l’analogie entre un Manuel Valls, devenu ministre de l’intérieur de la République française, né Espagnol et naturalisé Français à 20 ans et Ségolène Royal qui aura vécu une partie de son enfance au Sénégal et ancienne candidate à la présidence de la République Française ?
Plus prosaïquement, quelle accointance cognitive y a-t-il entre moi, Africain né et socialisé au Cameroun, ayant grandi au goût du manioc et au son du Makossa, de l’Assiko, aux récits de Blek le roc, de Zembla, Tex Willer (et je le confesse, plus tard, bien plus tard, SAS Malko Linge de Gérard de Villiers) et un jeune titi parisien élevé au son et aux images télévisuelles d’une culture officielle normative , ayant vécu en direct l’alunissage de Niels Armstrong, dont le rapport privilégié à la technologie a biaisé son aperception subjective aux faits sociaux (et donc par voie de conséquence fortement modifié sa perception de la « nature ») ?
Notre adhésion commune à des valeurs qui consonent avec nos propres schèmes normatifs de vie, autoreprésentés bien que socialement influencés, nous autorise à embrasser des modèles culturels que nous consentons ensuite à transformer. Ainsi, pour emprunter à Alain Touraine, dire aux nouveaux arrivants de se conformer à l’ordre qu’ils trouvent est plus proche de l’exclusion que de la véritable intégration. L’acculturation/déculturation favorise aisément des effets de miroirs équivoques qui nous renvoient l’image d’une culture fantasmée que nous contribuons paradoxalement à bâtir.Ma propre expérience fortement orientée vers la communion fusionnelle grâce à une prégnance de la communication informelle et un rapport aux autres moins individualiste, déforme inéluctablement ma perception des faits, en même temps que mon intelligibilité de la lecture historique qui est faite par les médias officiels.
D’autres facteurs posés en objets d’analyse confortent ces distorsions cognitives telles que ma position sociale.
Ainsi, cette dernière contribue tout autant à orienter ma grille de lecture objective, par le fait de la pesanteur du cadre social dans lequel j’évolue. La même déformation se retrouvera au sein des personnes de culture aristocratique qui évoluent dans un monde parallèle au mien. L’analyse pourrait s’étendre aux différés de communication qui proviennent d’un déficit flagrant de communications interpersonnelles, distances sociales ou fonctionnelles et qui par extension opposent les individus en générant potentiellement des conflits.
En réalité, beaucoup de facteurs nous opposent dans le processus cognitif lié à l’interprétation de la réalité qui, même si elle est unique, est liée à une rationalité limitée par essence et définition, telle que l’analyse Herbert Simon, prix Nobel d’économie en 1978. Ces différés de perceptions ne nous empêchent pas de vivre ensemble, mais compliquent fortement l’analyse des faits qui s’offrent à notre intellectualité et que nous sommes amenés à interpréter avec nos outils propres : éducation, culture, aptitudes intellectuelles, etc., représentant autant de freins à l’universalisation d’une conception spécifique du monde.
Ces différentes représentations de la réalité sont donc des effets de représentations culturelles en même que d’interactions formelles. Ainsi, durant la 2e guerre mondiale par exemple, les soldats américains arrivant en Angleterre se croyaient en terrain conquis une fois qu’ils avaient échangé un baiser avec une britannique. Une large proportion de celles-ci au contraire s’estimait bafouées car dans leur représentation de la relation amoureuse, le baiser ne donnait pas systématiquement lieu à consommation de l’acte sexuel. Ces différences culturelles ont aussi justifié la mort du capitaine James Cook au 18e siècle (le 14 février 1774 à Hawaï) et sa transformation en capaccio par les Indiens qu’il avait menacés, suite à des vols commis sur son bateau. L’on pourrait à dessein et à profusion témoigner des différences de perceptions notamment lors des premières rencontres entre voyageurs occidentaux et ceux qu’ils appelaient alors de sauvages aux Caraïbes ou le long des côtes africaines.
Plus proche de nous se déclenche depuis quelques semaines une crise diplomatique opposant la Russie, ensemble géopolitique constitué et des pays riches, considérés depuis la fin de la guerre froide comme des puissances. Par abus de langage, l’ensemble des observateurs parlent du conflit entre les Occidentaux et la Russie. En réalité, cette division géographique est typiquement un héritage de la guerre froide avec la division du monde en deux blocs géopolitiques qui s’affrontèrent pour leur suprématie idéologique dans le monde.Quand en août 1961, Nikita Khrouchtchev fit ériger le mur de Berlin à la suite de la crise de Berlin, Winston Churchill parla le premier d’un « rideau de fer » qui s’abattait en Europe. Dès lors, l’on distingua l’Est symbolisé par l’URSS (constituée par annexion plus ou moins ouverte de Nations frontalières) et l’Ouest représentant l’ »axe du bien », c’est-à-dire un ensemble d’Etats-Nations qui se définissaient par un idéal progressiste d’émancipation de l’homme.
L’on retrouve par ailleurs la même rhétorique dans les discours militaristes de Georges Bush qui parle de l’axe du mal lorsqu’il stigmatise Téhéran, etc.Retenons toutefois que les populations européennes s’estimèrent proches de la Russie lors de la guerre russo-japonaise de 1904-1905 remportée par la puissance japonaise. Cet épisode est d’ailleurs considéré comme la première défaite d’une puissance européenne face à l’Asie, puisque lors des guerres de l’opium au 19e siècle, les Nations occidentales assujettirent la Chine et lui imposèrent les traités inégaux. (Il m’est d’avis en passant que l’Asie fera payer ces accords inégaux à l’Occident, un de ces jours, leur domination économique n’en étant qu’à ses prémisses). Les mêmes puissances se rapprochèrent lors de la IIe guerre mondiale et se répartirent les zones d’influence contre la « barbarie » nazie, expression depuis lors acquise qui refléta en réalité les alliances géostratégiques s’affranchissant des « blocs » pour rencontrer des « mariages de circonstance » tels qu’à Yalta (du 04 au 11 février 1945) entre Roosevelt, Staline et Churchill ou à Postdam (du 17 juillet au 02 août 1945) entre Staline, Truman et Churchill.
Au final, j’affirme avec emphase qu’ il n’existe pas de culture occidentale uniforme ! Pas plus d’ailleurs qu’il n’existe de culture africaine, mais des formes culturelles de représentations selon les lieux et les époques. De même, les nations occidentales ne reflètent pas une segmentation géoculturelle formelle mais sublimée et imaginée ; elles sont plutôt l’expression visible d’une sphère géographique qui s’alimente entre autres de la proximité idéologique, d’un heritage historico-religieux qui autrefois unifia les peuplades d’Europe constituées en royautés !
Seules existent des valeurs fondatrices d’une civilisation, modifiées et adaptées au gré des rencontres et du temps, dont le socle initial permet au fil des millénaires de servir de référence morale à tous les héritiers qui ne manqueront point toutefois de les faire évoluer au fil de leurs différentes évolutions grâce à une approche à la fois interactionniste et post structurale.Les questions sociétales liées aux différents modes du vivre-ensemble, qui réactivent outre les diverses représentations du monde par les acteurs, leurs apports au sens et les rapports de forces inhérents aux interactions donneront forcément naissance à de nouvelles formes culturelles dans lesquelles les individus se reconnaîtront plus ou moins au gré de la violence symbolique qui leur sera infligée.
Henri Georges Minyem